Pratiques de composition électroacoustique en école primaire

Présentation générale

Nous pensons que la meilleure façon de découvrir l'art contemporain est de le pratiquer, de le vivre, d'en comprendre les mécanismes de l'intérieur pour mieux pouvoir apprécier les autres créateurs. L'accent est donc mis sur la pratique par les enfants, et sur le plaisir de la manipulation : manipulation d'objets sonores (même pendant la phase de découverte par l'écoute) enregistrements de sons produits par eux, transformation du son par les enfants, composition et diffusion d'un extrait musical qu'ils auront produit.

La fascination que les enfants peuvent éprouver en écoutant leurs productions sonores est tout à fait propice à cette sensibilisation, d'autant que, l'apprentissage pour réaliser des sons cohérents étant beaucoup moins long avec un objet qu'avec un instrument, les enfants peuvent se gratifier rapidement (sans pour autant évacuer la notion d'effort ou de concentration), ce qui peut être encourageant pour des enfants en échec scolaire.

D'autre part, il semble important de réancrer cette musique dans le corps en montrant l'importance du geste, de la curiosité, du senti dans “ l'interprétation ”, lors de l'exploration d'objets par les mains. Ce geste peut se retrouver lors de la phase de transformation du son, ainsi que lors de la phase de diffusion.

De cette façon, les enfants refont pour leur compte et peuvent entièrement s'approprier l'intégralité du parcours d'un compositeur acousmatique : recherche et création de sons, enregistrement, transformation du son et démarche compositionnelle, utilisation des nouvelles technologies comme outil de création.

Je vais décrire dans les pages qui suivent 3 types d'enseignement de la composition électroacoustique en école primaire, et plus particulièrement en cycle 3 (CE2, CM1, CM2): contes électroacoustiques, initiation à la musique électroacoustique et composition en autonomie.

Ces 3 pratiques possèdent en commun un certain nombre d'étapes et de paliers que je vais décrire ici dans un premier temps: avant de composer, il est nécessaire de savoir dans quel monde sonore l'on s'engage!

Sur cette page nous trouverons donc le cheminement pour aller vers la musique électroacoustique, très largement ignorée du public et absente des médias.

Ce cheminement se décline en 3 étapes : découverte, recherche d'objets sonores et enregistrement de séquences jeu, transformations du son. Nous dédierons ensuite une page à chacune des pratiques.

Découverte de la musique électroacoustique

Les élèves doivent se forger une représentation de ce qu'est la musique électroacoustique avant de se lancer dans la composition (très peu d'entre eux savent ce que c'est). Cela passe par la découverte d’œuvres du répertoire afin de saisir les différences et les points communs d'avec la musique (les musiques ?) qu'ils connaissent déjà. Les différences d'avec les musiques instrumentales sautant aux oreilles, je présente des pièces mettant particulièrement en relief les paramètres musicaux habituels de façon à rattacher ce qu'ils vont entendre par la suite à la catégorie musique: nuances, rythme, hauteurs. Chaque écoute d’œuvres est suivie

- d'une analyse où les enfants émettent les commentaires qui leur viennent et doivent trouver le caractère saillant visé,

- et d'une pratique orale de ce caractère afin de l'ancrer dans le corps.

Déroulement de la séance

La séance débute par la question qui tue : qu'est ce que la musique d'après vous ? ou qu'est-ce qu'un musicien ?

Les réponses tournent habituellement autour de la musique instrumentale (je range la voix dans la catégorie instruments).

Je préviens alors les enfants qu'ils vont être confrontés à un autre type de musique que celle qu'ils connaissent, et qui est composée uniquement avec des sons déjà enregistrés.

Je commence généralement par le "Sanctus" de Michel Chion qui présente le triple avantage de les plonger directement dans un univers musical très différent de celui qu'ils connaissent, de mettre en évidence les nuances et notamment les crescendo du début, et d'introduire à la notion d'exploration des différentes possibilités d'un objet sonore, en l’occurrence ici la voix.

Cette œuvre, assez violente et souvent mal ressentie par des étudiants, connaît un grand succès en école primaire et permet d'entrer dans la découverte par le plaisir.

Les traitements très différents de la voix ouvrent sur la notion d'exploration des possibilités d'un objet sonore et sur celle de séquence jeu.

Je continue avec "Incidences, résonances" de Bernard Parmegiani qui met en évidence l'existence de sons tenus, de sons impulsifs et de sons itératifs.

L'introduction de "L'estran", de Christian Eloy, est un exemple de l'utilisation des hauteurs et des tessitures pour nourrir le propos.

Je termine par "La dictée", d'Alain Savouret, qui était au programme de 2008, qui permet de réinvestir toutes les notions abordées dans la séance et qui, de par son caractère humoristique et proche du vécu des enfants, clos la séance par une touche joyeuse.

Objets sonores et enregistrement de séquences jeu

Les enfants effectuent une recherche d'objets sonores (dans les deux sens du terme) et s'entraînent à tirer le potentiel musical d'un objet.

En général je les guide en mettant l'accent sur le fait que la matière a des répercussions sur le son, et que tous les objets ne produisent pas de résonances ; les sons percussifs courts sont plus faciles à trouver.

Une phase d'essai intervient alors dans laquelle je demande aux enfants de réinvestir les notions abordées antérieurement (nuances, rythme) afin de produire une séquence jeu intéressante en évitant les manipulations trop répétitive.

Il est important aussi de dissocier l'objet qui produit les sons des sons qu'il produit : lorsque l'on explore les possibilités sonores d'un bureau de classe, par exemple, les parties en bois et les parties métalliques ne produisent pas du tout le même type de son, même s'il s'agit du même objet. Nous procédons donc à deux enregistrements différents.

Quelques exemples de séquences jeu produites par les enfants :

exemple 1 : un grand classique, la trousse
exemple 2 : exploration d'un casier métallique
exemple 3 : un jouet mécanique. Le son produit dépend de la détente du ressort qui l'anime et non pas des gestes de l'enfant

Matériel utilisé pour l'enregistrement et organisation de la classe

Actuellement j'utilise le matériel de mon association : un Mac Book Pro sur lequel Pro Tools est installé et relié à une Mbox, avec un micro Rode NT4. Mais j'ai débuté avec un micro de bureautique et audacity sur un ordinateur de classe.

La classe est organisée de façon à ce que les enfants qui ne sont pas occupés à enregistrer travaillent sur une fiche individuelle.

Dans la réalité des faits peu d'enfants écrivent pendant l'enregistrement car ils préfèrent écouter ce qu'il se passe même s'ils ne sont pas acteurs. Ce sont même des moments d'une qualité d'écoute extraordinaire, dans le sens premier du terme.

L'enregistrement se déroulement en trois phases : essai de séquence jeu et test du niveau d'entrée, enregistrement à proprement parler, et écoute du résultat. La question du démarrage et éventuellement de l'arrêt, quand l'enfant s'enlise dans des redites, de l'enregistrement est prise en charge par l'enseignant. C'est également lui qui indique la distance de l'objet sonore au micro.

Troisième étape : transformations du son

L'objectif de cette étape est de montrer que l'on peut transformer n'importe quel son de façon logicielle, même au point de rendre le son source méconnaissable.

Les différents traitements électroniques sont très flatteurs pour leur oreille et, de ce fait, sont à double tranchant : d'un côté il me paraît indispensable de montrer leur existence et de les faire entrer dans la musique par le plaisir du faire et de l'entendre ; de l'autre leur abord moins ascétique a tendance à faire sous évaluer les sons acoustiques.

Lors de la phase de composition je veille à un certain équilibre. L'incontournable son à l'envers ne fonctionne bien que sur des sons qui offrent une résonance.