L'idée musicale en composition.

Je voudrais souligner que ce principe de sélection se rencontre aussi de la composition, dans l'improvisation, dans l'interprétation des adultes, parce que ce sont les axes généraux des processus d'invention.

Je voudrais maintenant expliquer quelque chose sur les stratégies de composition musicale. La présentation que je ferai est très générale. Une manière d'inventer la musique est effectivement de chercher des singularités sonores pour ensuite trouver le moyen de les développer de manière plus longue.

J'ai travaillé avec un groupe de 12 compositeurs, placés dans la même situation : ils devaient partir d'un « germe » -un matériau sonore qu'ils choisissaient- qu'ils développaient sur une durée de quelques minutes. La réalisation terminée, nous avons pu travailler avec les compositeurs, sur leur recherche, leurs notes, leurs esquisses, et nous avons analysé le processus d'invention. Ce travail a été publié dans las Conductas Musicales. Ce fut un travail important pour moi, et il a eu une certaine répercussion. Actuellement il intéresse les musicologues, parce qu'il permet d'analyser la genèse du processus d'invention.

En général, les musicologues analysent les musiques déjà composées et terminées, mais pas les processus d'invention qu'ils laissent plutôt à la psychologie. Mais la psychologie a davantage étudié les processus d'écoute, peu la production. Cependant, depuis presque 20 ans, l'analyse des processus de création est apparue dans une certaine musicologie, et s'appelle la génétique des œuvres.

Donc ce travail m'a permis d'étudier la naissance de l'œuvre. Et ce que je peux expliquer et montrer est mon intérêt pour la naissance de l'idée musicale comme centre du processus de composition, qui déjà a une histoire.

Il y a toute une littérature sur l'idée musicale considérée comme un motif, comme un thème, comme une partie de l'œuvre musicale. C'est l'une des définitions et des conceptions de l'idée. Mais il y en a une autre, qui est la mienne, et qui maintenant progresse, qui associe l'idée au processus d'invention.

Prenons un exemple : un jour, pendant que Beethoven se promenait, il a pensé à cela :

Si je vous propose cet exemple c'est parce que vous le connaissez certainement, et on a souvent dit que l'idée était ces quatre premières notes. Mais si nous pouvons nous mettre dans la peau de Beethoven, on peut imaginer que tout en cherchant il s'est dit... : « C'est pas mal, ça... Je peux le développer, je peux en faire quelque chose, je peux faire des changements ».

Beethoven le dit très bien dans une lettre : « j'ai une idée, je vis avec cette idée (ça veut dire que c'est un moment dans l'imagination de l'œuvre), cette idée je la retourne dans toutes ses modulations, dans toutes ses possibilités, et voici une sonate, voici une symphonie ». C'est une belle pensée de Beethoven.

Ceci montre bien comment il imagine son œuvre. Il trouve un motif, une phrase qui l'intéresse, qu'il choisit, et il imagine qu'il peut le développer. C'est-à-dire que l'idée n'apparaît pas seulement dans le moment que dure ce mouvement de la symphonie, mais bien dans les 10 mois (ou davantage) que dure le temps de la composition.

Ceci est la conception actuelle de la génétique des œuvres. L'idée n'est pas seulement un motif, mais ce qui génère le processus de composition. Avec Beethoven, c'est intéressant parce qu'on peut observer dans les reproductions en fac-simile comment il écrit, corrige, gomme, change, on peut suivre le processus d'invention.

Il y a eu un congrès sur l'idée musicale d'où est sorti un livre. J'ai analysé ce qu'il s'y disait, et c'est la définition la plus actuelle de l'idée musicale : ce n'est pas un motif, une phrase, un thème, mais bien cette singularité sonore qui vient à l'esprit et stimule le processus de création.

Les idées peuvent être très diverses. Voici une Invention à deux voix de Jean-Sébastien Bach, une organisation très singulière : la pièce se présente en alternant dans la succession temporelle des notes des deux mains : la droite et la gauche, avec un résultat original.

Cet exemple permet de comprendre que l'idée musicale n'est pas seulement un motif, une phrase, un thème, mais, ce qui est une conception différente, quelque chose comme une singularité sonore. Chez Bach, on trouve beaucoup d'idées singulières dans ses œuvres.

Je voudrais maintenant expliquer comment l'idée intervient dans la composition, dans la stratégie du compositeur.

J'ai remarqué dans mes enquêtes auprès des compositeurs (en pensant à nouveau au travail que j'ai effectué) que quand ils sont en train d'imaginer une œuvre ils ont besoin de suivre un « propos » qui est quelque chose de très général.

Par exemple Vivaldi : imaginons qu'il va faire Les Quatre Saisons, une idée simple. « Je vais faire le printemps ». Mais ça ne suffit pas. Ça, c'est un propos intellectuel que l'on peut facilement expliquer : mais pour commencer, il faut trouver quelque chose au niveau sonore et non au niveau intellectuel. Il faut qu'il trouve une singularité sonore : les arbres vont faire comme cela (chantonnements...). Il faut qu'il pense sonore, qu'il passe de l'intellectuel au sonore, qu'il choisisse une singularité sonore (même si ensuite il y a plusieurs idées, il y a rarement une seule idée) et qu'il ait envie de développer et de passer à un projet de composition musicale.

Si je prends des pièces courtes de Bach par exemple, il y a une ou deux idées qui fonctionnent ensemble, et cela suffit. J'ai écouté Olivia qui jouait quelques préludes du Clavecin bien Tempéré et on voit comme il y a une ou deux idées très simples dans chaque prélude qui se développent en une minute et demie de musique, et rien de plus. L'idée passe d'une main à l'autre, elle est répétée, elle se dilate, et ensuite elle revient et aboutit à une fin, parfois inattendue. Et voilà un prélude.

Quand l'œuvre est un peu compliquée, par exemple comme dans les chorals pour orgue, il y a souvent deux idées qui jouent l'une avec l'autre, mais sont assez simples.

Donc il y a un propos, il y a une idée musicale, et ensuite tout est de l'ordre de la régularité. On peut faire une opposition entre la régularité et la singularité : il y a des choses que l'on ne peut pas faire, il y a des règles que tous les étudiants connaissent, il faut éviter les quintes parallèles etc., mais il y a aussi des choix que l'on fait régulièrement, ce sont des régularités : chaque compositeur a sa propre grammaire.

Mais l'idée apparaît une fois, c'est comme le « eurêka », et de là nait la pièce, l'œuvre. Cette idée musicale, en général on ne la répète pas, mais il y a des compositeurs qui se permettent, au cours de leur vie, de reprendre des vieilles trouvailles qu'ils ont laissées de côté un certain temps et la reprennent pour l'élaborer, ce qui constitue une capitalisation de ce qu'ils ont fait, qui s'appelle le style.

C'est la même chose avec les enfants : nous avons vu un enfant qui a trouvé quelque chose qui lui plaisait ; quatre mois plus tard il s'en souvient et le reprend, le reconstruit, le répète. La première fois c'était par hasard, mais ensuite cela devient son style. Et ce « quelque chose » est une singularité par rapport aux autres enfants, parce qu'il se distingue par cette trouvaille, mais pour lui-même c'est une régularité. C'est pour cela que nous considérons qu'il y a une espèce d'équilibre entre la singularité et la régularité dans le processus de création. Si l'on étudiait le processus de composition, on a besoin de comprendre cette dichotomie pour analyser les stratégies de création.

C'était la même chose l'autre jour, quand vous avez fait une exploration. Dans les exemples d'enfants que je vous ai montrés, vous avez vu qu'il y a des trouvailles fortuites qui apparaissent tout de suite ; avec les compositeurs, nous avons beaucoup d'exemples dans lesquels ils ont trouvé quelque chose par hasard. D'autres fois, il y a une recherche de quelque chose de nouveau, puis une élaboration et le travail systématique peut commencer. C'est le « métier » du compositeur qui parle...