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Réflexions

Enseignante en milieu rural, je me suis souvent heurtée au manque de curiosité et à une ouverture d'esprit assez étroite, ceci s'expliquant par un éloignement géographique de notre commune avec les lieux culturels.

Mon envie était donc de briser ce tabou de milieu élitiste que véhicule souvent la musique dite « classique ».De plus, à l'heure où beaucoup d'adolescents consomment la musique comme n'importe quel autre produit, sur un téléphone portable, il semblait intéressant d'effectuer une réflexion sur la qualité du son, les métiers de la musique et sur les vraies exigences que demande la création.

La tâche s'annonçait donc difficile mais le défi à relever était source de grande motivation, surtout à l'heure actuelle, où la médiocrité est souvent mise en avant.

Après plusieurs années passées à enseigner la musique, je me suis aperçue que beaucoup élèves entendaient la musique comme un bloc et avaient des difficultés à entendre les différentes couches qui constituaient une chanson par exemple.

Ils avaient aussi beaucoup de difficultés à comprendre les exigences que demandait la musique, exigences mises à mal par le monde actuel.

Fort de mon expérience de musicienne, il m'a paru nécessaire de transmettre ces exigences mais aussi les valeurs et les satisfactions que pouvaient procurer la musique.Le meilleur moyen était de les rendre créatif du début à la fin et seuls maîtres de leurs idées. Une des difficultés était le langage musical nécessaire mais impossible à acquérir avec une heure de musique hebdomadaire.

L'électroacoustique m'a paru comme une solution à ces problèmes : pas d'écriture musicale, pas de partition, pas de maîtrise instrumentale, pas de gêne vocale (car l'adolescent n'est pas souvent à l'aise avec sa voix). En plus, ce courant permet aussi de travailler avec les nouvelles technologies et sur la qualité sonore d'un son et d'un enregistrement. Une des idées, aussi, était qu'ils puissent rencontrer un professionnel de l'électroacoustique afin qu'ils échangent et qu'il apporte un autre point de vue. C'est ainsi que l'idée fit son chemin jusqu'à cette année 2013-2014 où l'envie fut d'emmener les élèves au plus près de la création :

Chercher, se perdre, organiser ses idées, faire confiance à ses idées, être rigoureux, rendre un travail fini, le partager avec les autres sous la forme de concerts. Tout le travail a été basé sur cette lutte contre les a priori, cette ouverture sur la musique contemporaine, sur le son, sur les idées des autres, sur l'exigence.

Valeurs développées

En apprenant à écouter un son produit par un objet du quotidien, l'élève apprend à se servir de ses oreilles, à déceler les détails et à diriger son écoute sur quelque chose qui semblait anodin. Il est à l'affût de«  « la musique en toutes choses » ».

Les sons produits ont été parfois surprenants mais petit à petit, l'écoute est devenue respectueuse car les élèves ont compris que, ce qui est surprenant, déroutant est parfois ce qui est le plus intéressant. Au fil des semaines, certains élèves m'ont même dit avoir entendu un son intéressant, produit par une porte chez eux ... Seraient-ils devenus curieux ?

Entendre des musiques électroacoustiques de Pierre Schaeffer, Pierre Henry, Diego Losa et d'autres compositeurs n'a pas toujours été facile. Les élèves sont peu familiers avec ce courant de la musique contemporaine. Les réactions ont donc été très mitigées. Petit à petit, les élèves ont compris l'intérêt, la réflexion de ces compositeurs et l'influence qu'ils ont eue sur les musiques et technologies actuelles.

L'ouverture d'esprit a été au centre de nos discussions et en produisant leur propre musique, ils se sont confrontés à toutes les problématiques qu'ils avaient soulevées en écoutant cette musique. Les créations ont été menées en binôme. Chaque binôme a su produire un échange d'idées et de réflexions dans le respect de l'autre.

Chacun a été confronté à ses doutes, à la feuille blanche. Chacun s'est perdu. Mais à force de conseil de prise de confiance en soi, d'autonomie, les groupes ont su progresser et mener à bien leur musique. Les meilleures réalisations ont été diffusées lors d'un concert, ce qui a permis aux élèves d'affronter leur trac mais aussi de sentir la satisfaction que procure un travail bien fait.

Le travail mené sur un peu plus de 6 mois, à raison d'une heure par semaine, a permis à chacun de mûrir et d'apprendre à tenir un engagement sur la longueur. Une des réflexions fut de mesurer combien il était exigeant et long de travailler sur ce qui semblait une « simple » minute de musique à réaliser.

Enfin, la conclusion du projet était de se rendre compte qu'une musique n'était pas forcément agréable pour être réussie, que l'on pouvait apprécier une musique en la comprenant, en se familiarisant à l'univers dans lequel elle a été crée.

Tout ceci allait à l'encontre des remarques qu'ils pouvaient faire au début de ce travail.

Réactions des élèves, parents, public

A la fin de l'année, ou en croisant d'anciens élèves, c'est toujours ce travail qui a été le plus apprécié. Certains continuent d'ailleurs à manipuler le son avec Audacity.

Lors du concert, j'ai pu échanger avec des parents qui m'ont dit "avoir découvert quelque chose" ce soir là, une autre perception de la musique, un courant inconnu. Mes collègues ont été étonnés du résultat et de la qualité des travaux.

Tous disent que cette musique leur renvoie des images, des sensations et qu'ils se sont laissés transporter par ces sons.

Isabelle Nesme - Janvier 2015